Texte de Pierre Edouard.

Pour Denis Martin

J’ai rencontré la peinture de Denis Martin en 2001.
Mon père, Charles Maussion, m’avait emmené voir son exposition. Ce dernier s’intéressait particulièrement à la peinture de Denis parce que c’est avant tout une peinture de sentiment. Un monde qu’il n’a pas cessé d’explorer. Un art non rétinien, non conceptuel. La tache qui advient dans le tableau parle de la peur de l’abandon, de la mort, et du bonheur infini de la lumière. Et Denis le dit avec ses propres mots qui sont crépusculaires et étincelants. Il ne parle que de ces choses muettes que l’on ne peut écrire qu’en peinture.
Mais ça veut dire quoi, la peinture de sentiment ?
Nous avons cru si longtemps que toute émotion « océanique » en peinture était le fruit d’un manque de lucidité de la part de son créateur qui ne voit même pas que l’aspiration qu’il croit universelle n’est que le fruit d’une configuration biographique qu’il impose à tout le monde. C’est le murmure des voix thérapeutiques et philosophiques. D’où une terrible méfiance vis- à-vis de l’œuvre qui ne repose que sur l’émotionnel. D’où le ricanement du siècle.
Il y a de quoi se méfier du sentiment car il a les armes pour nous détruire. Et celles pour nous faire vivre. Et si le grand art en fait toujours trop, c’est parce que, précisément, le terreau qui l’engendre est par nature démesuré.
Et si nous sommes devenus des estropiés du sentiment parce que nous avons oublié que les miracles, les révolutions et les destinées ne s’articulent que par la force du sentiment, cela n’empêche pas que nous sommes à l’orée d’un monde colossal. On n’y pénètre qu’au risque de se perdre. Et si nous hésitons sur le seuil, c’est parce que sa puissance est sans commune mesure avec notre résistance.
Et comme toujours, la peinture nous précède. Et lorsque les rires seront tus, elle témoignera.


Pierre Edouard Paris, janvier 2019